mardi 12 février 2019

Marie d’Agoult, juive par son pseudonyme ?

Marie d’Agoult, qui écrivait sous le nom de plume de Daniel Stern, était la fille d’Alexandre Victor François de Flavigny, un noble français émigré pendant la Révolution, et de Maria Elisabeth Bethmann, laquelle était issue d’une famille de banquiers protestants.

Sur Facebook, une intervenante a affirmé – tout bêtement – que les Bethmann étaient une famille de Juifs allemands convertis au protestantisme. Cette même personne a également affirmé ce bobard avec aplomb sur son site internet consacré à Marie d’Agoult.

Bethmann, c’est juif ?
Et Daniel Stern ?

Or, une recherche sur Internet permet de constater que personne, en dehors de cette internaute, n’a jamais fait mention d’une origine juive chez les ascendants de Marie d’Agoult, née Marie Catherine Sophie de Flavigny, éduquée au couvent des Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus et mariée au comte Charles Louis Constant d’Agoult.

La mère de Marie d’Agoult, Maria Elisabeth Bethmann, d’origine allemande, était la fille de Johann-Philipp Bethmann et de Catharina Margaretha Schaaf.

Johann-Philipp Bethmann était le fils de Simon Moritz Bethmann et d’Elisabeth, née Thielen, lesquels étaient tous les deux protestants et nés de parents protestants.

Le père de Catharina Margaretha Schaaf s’appelait Anton Schaaf et sa mère s’appelait Susana Scheidt, ou von Scheidlin, selon les sources.

Dans ses écrits, Marie d’Agoult nous montre bien que ses ascendants n’étaient absolument pas juifs : « ...ma mère qui, à demi française, avait perdu à l’égard des juifs, comme à tant d’autres égards, l’âpreté des préjugés francfortois... »

Autre exemple, cette réaction de sa grand-mère maternelle Catharina Margaretha Schaaf, apprenant par son fils, l’oncle de Marie d’Agoult, que celui-ci et son épouse avaient reçu la visite d’Amschel Rothschild à l’occasion de la naissance de leur fils :

« Il n’avait pas prévu le soulèvement d’indignation qu’il provoqua. Quoi ! Ce malheureux fils de juif allait venir en sa maison, il allait entrer dans la chambre de sa belle-fille, toucher de ses mains, peut-être, le berceau chrétien de son petit-fils ! Cette pensée la mettait hors d’elle-même, et il ne fallut rien de moins que l’accord de toute la famille pour la réduire à supporter ce changement des temps et cette incroyable diminution de la fierté chrétienne dans sa propre famille ! »

Marie d’Agoult nous explique donc dans ses écrits que chez ses ascendants, et jusqu’à sa grand-mère du côté maternel, on cultivait de vilains préjugés à l’encontre des Juifs. Par ailleurs, sa fille Cosima, très antisémite, allait épouser successivement deux hommes aussi antisémites qu’elle, tout d’abord Hans von Bülow, puis Richard Wagner, et devenir par la suite la belle-mère de l’ignoble nazie Winifred Wagner.


Sources : Marie d’Agoult, Mes Souvenirs (publié sous le nom de Daniel Stern)  ; ibid.; geneanet.org ; Wikipedia, sur Marie d'Agoult et sur les Bethmann.

vendredi 8 février 2019

Dieu, Rothschild et Macron... et l’Algérie

Je n’y croyais pas, et pourtant, c’est arrivé : en décembre 2018, sur Facebook, un intervenant, lui-même juif, a déclaré en guise de commentaire, à propos de je ne sais plus quelle publication, que la mère du président Macron était « d’origine juive algérienne ». Plaisantait-il ? Dans tous les cas, il ne semblait pas se prendre trop au sérieux, car lorsque je lui ai porté la contradiction, il a salué ma réponse d’un émoticône souriant.

Emmanuel Macron a cependant été, depuis le début de sa première campagne électorale, la cible d’une foule d’antisémites : non pas parce qu’on le croyait juif, mais parce qu’avant de se lancer dans la politique, il avait occupé un emploi de cadre supérieur au sein de la banque Rothschild & Cie.

Deux bons amis des Juifs

Comme le révèlent tristement certaines manifestations de rue – ou de rond-point –, le nom de Rothschild est toujours associé aux mêmes fantasmes absurdes et nauséabonds qu’au temps de Drumont, de Willette, de Céline et de Pétain.

Pour en revenir à notre sujet, j’ai déjà fait remarquer que la notion d’origine(s) juive(s) était apparemment très élastique. Quoi qu’il en soit, on ne connaît à Emmanuel Macron aucun ascendant juif, ni du côté maternel, ni du côté paternel.

Le père d’Emmanuel Macron, Jean-Michel, est le fils d’André Macron et de Jacqueline, née Robertson, elle-même fille de George William Robertson et de Suzanne Leblond, fille d’Eugène Leblond et d’Alice Tison. Bien évidemment, aucun de ces patronymes ne suggère des « origines juives ».

La mère d’Emmanuel Macron, Françoise Noguès, est la fille de Jean Noguès et de Germaine, née Arribet, elle-même fille d’Ernest Arribet et de Marie-Madeleine, née Millet, cette dernière ayant eu pour parents Isidore Millet et Sophie, née Cha. J’ignore d’où vient ce dernier patronyme, mais il ne semble pas qu’il soit porté par des Juifs davantage qu’Arribet, Millet ou Noguès (surtout avec pas moins de 78 Jean-Baptiste recensés sur le Web). En outre, comme je l’ai déjà mentionné ailleurs, le prénom Marie-Madeleine fait clairement référence à l’iconographie chrétienne.

Rien n’indique, non plus, un lien quelconque avec l’Algérie.

Inutile de pousser plus loin les recherches.


Sources : geneanet.org ; Wikipedia.

mardi 13 novembre 2018

Dans la famille Sarkozy, Marie-Dominique Culioli...

On sait que Nicolas Sarkozy avait un grand-père juif et que Cécilia Ciganer-Albeniz avait également un grand-parent juif, son grand-père ou peut-être sa grand-mère, côté paternel. On sait que Carla Bruni a été élevée par le fils d’un Juif. On sait que Jean Sarkozy, l’un des deux fils de l’ancien président et de sa première femme, a épousé une Juive.

Décidément, autour de Nicolas Sarkozy on trouve des « origines juives » à tous les étages, et cela ne manque pas de faire fantasmer beaucoup de gens.

La première dame de... Sarkozy

Ces faits sont amplifiés et déformés à l’extrême, comme souvent dès que le mot « juif » apparaît quelque part ; si bien que certains prêtent une identité juive à la mère de Nicolas Sarkozy, voire au père de Nicolas Sarkozy et à Nicolas Sarkozy lui-même, ainsi qu’à sa deuxième épouse Cécilia – et même, à Jacques Martin – et à sa troisième épouse Carla.

Dans ce contexte, il n’est pas vraiment surprenant que l’on puisse même entendre affirmer (comme je l’ai effectivement entendu affirmer) que la première épouse de Nicolas Sarkozy, Marie-Dominique, était juive elle aussi. Jamais deux sans trois !

On peut au moins supposer que cette invention n’émane pas de ceux qui ont fait courir le bruit que Jean Sarkozy se serait converti au judaïsme pour pouvoir épouser Jessica Sebaoun.

En effet, si sa mère avait été juive, Jean Sarkozy aurait été juif lui-même. Mais il est vrai qu’il serait illusoire d’attendre que les auteurs de ce genre de commérages fassent preuve d’un esprit logique.

Quoi qu’il en soit, Marie-Dominique Culioli est née de deux parents corses et nés en Corse, Henri Jean-Baptiste Culioli et Rosine Biancarelli. Il en était de même du linguiste Antoine Culioli ainsi que d’une homonyme de Marie-Dominique Culioli, décédée en février 2018 à l’âge de 94 ans, dont on peut constater (dansnoscoeurs.fr) que toute la famille est corse et catholique.

Certes, la première femme de Sarkozy a maintenant une bru juive et des petits-enfants juifs, mais rien n’indique qu’elle pourrait être juive elle-même et tout indique le contraire.

Par ailleurs, des Juifs fantasment sur de prétendues « origines juives » d’une partie du peuple corse, et certains patronymes corses en seraient la preuve : des noms comme Giacobi, Simonetti mais également Biancarelli. Selon un article de Corse-Matin, ce ne serait qu’un mythe. Quoi qu’il en soit, les Corses qui portent ces noms ne sont pas juifs.


Sources : corsematin.com ; dansnoscoeurs.fr ; geneanet.org ; lexpress.fr.

lundi 29 octobre 2018

Eva Braun, une rumeur tirée par les cheveux

Soyons clair : je n’ai encore jamais entendu dire que la compagne d’Hitler aurait été juive, mais comme il existe une rumeur stupide selon laquelle elle aurait eu des « origines juives », je me doute qu’entre envisager d’éventuelles et douteuses « origines juives » et affirmer que la personne était juive, certains auront vite fait de franchir le pas.

J’utilise à dessein les guillemets quand j’écris « origines juives », car cette notion est bien vague et sujette à des interprétations plus ou moins fantaisistes. En l’occurrence, de quoi s’agit-il exactement ?

Il existe des Braun juifs. Par ailleurs, une des deux sœurs d’Eva Braun, Ilse, avait été la secrétaire médicale et la maîtresse d’un médecin juif, Martin Marx. Cependant, celle-ci est devenue par la suite la secrétaire du ministre nazi Albert Speer. Quant à la troisième sœur, Gretl, elle avait épousé en premières noces un officier SS. Enfin, tous les Braun ne sont pas juifs. Werner von Braun, par exemple, ne l’était évidemment pas.

Une bonne Aryenne

Plus sérieusement, en 2014, une émission de télévision britannique faisait état d’une analyse d’ADN concernant des cheveux qui « auraient été prélevés » sur une brosse gravée aux initiales d’Eva Braun et récupérée par un capitaine de l’armée américaine au Berghof, la résidence d’Hitler dans les Alpes bavaroises.

L’analyse révélait que le génome était porteur d’une séquence appelée N1B1 et « fortement associée » aux Juifs ashkénazes. Naturellement, les médias n’ont pas manqué de relater la chose avec gourmandise, quitte à reproduire bêtement une dépêche, comme ils ont l’habitude de le faire. D’un journal à un autre, non seulement on retrouve les mêmes expressions comme par exemple « fortement associée » (ce qui veut dire quoi ?), mais même les phrases sont souvent identiques. Remarquons aussi que l’analyse d’ADN en question avait été effectuée à la demande des producteurs de l’émission !

Sachant qu’en Allemagne de nombreux Juifs se sont convertis au cours du temps et ont pu épouser un conjoint non juif, notamment au XIXe siècle, beaucoup d’Allemands au type germanique peuvent avoir un ancêtre juif si l’on remonte assez loin. Cela pourrait être le cas d’Eva Braun, à supposer que les cheveux en question aient bien été les siens – ce qui est loin d’être prouvé. Et qu’est-ce que cela changerait ?

On sait que les parents d’Eva Braun étaient des catholiques convaincus et que celle-ci fut élève dans une école catholique, puis passa un an dans un couvent.

En fait, l’idée qu’Hitler aurait pu se mettre en ménage avec une « non aryenne » est déjà assez stupide. Par ailleurs, Eva Braun était forcément au courant de la « solution finale » et cela ne l’aura jamais empêchée de dormir, ni de lier son destin à celui du plus haut responsable de cette effroyable folie criminelle.

Dans le meilleur des cas, la rumeur des « origines juives » d’Eva Braun reflète un goût malsain pour les paradoxes improbables, mais elle peut tout aussi bien participer, de façon pas si innocente, d’une certaine forme de banalisation du nazisme et de la Shoah (voir mes articles concernant Hitler et d’autres nazis).


Sources : Abbott E., Une histoire des maîtresses, (Fides, Montréal, 2007, p. 306) ; genealogie.schirrhein-schirrhoffen.fr ; Jew Or Not Jew ; Spartacus, sur Ilse Braun ; Spartacus, sur Gretl Braun ; Wikipedia, sur Eva Braun.

dimanche 21 octobre 2018

S’il s’était vraiment appelé Gutenberg, aurait-il été juif ?

Qui croit que Gutenberg était juif ? Le politologue pakistanais Farrukh Saleem, par exemple, qui a dressé une liste de personnalités juives dans laquelle il s’est également fourvoyé concernant Charles Bronson ainsi que Sandra Bullock. Mais il n’est certainement pas le seul. Il y a des gens qui s’imaginent que quiconque porte un nom germanique en « -berg » est juif. Par ailleurs, il existe effectivement des Juifs qui s’appellent Gutenberg.

S’il existe des Juifs qui s’appellent Gutenberg, c’est peut-être parce qu’un de leurs ancêtres s’était choisi ce nom par admiration pour un homme célèbre, comme d’autres choisirent un jour de s’appeler Schiller ou Lessing. Ou bien, c’est peut-être parce que ce nom qui signifie la bonne montagne avait de bonnes chances d’échoir un jour à un Juif, comme une foule d’autres noms du même genre commençant par « Gut- » ou se terminant par « -berg »...

Mais si l’inventeur de l’imprimerie est entré dans l’histoire sous ce nom (autrefois francisé en Gutemberg, voire Guttemberg, de même que son prénom était francisé en Jean), en réalité il ne s’appelait pas Gutenberg.

Il s’appelait Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg. Autant dire que son patronyme était Gensfleisch, et que Gutenberg n’était finalement qu’un surnom.

Son père s’appelait Friele Gensfleisch zur Laden ; sa mère s’appelait Else Wirich.

Gutenberg était issu d’une famille de patriciens. Son père exerçait à Mayence la fonction de maître des monnaies auprès de l’archevêque local. Il est supposé que Gutenberg avait étudié notamment la littérature et la théologie (chrétienne).

Par ailleurs, il semblerait qu’il ait été baptisé dans l’église Saint-Christophe proche de sa maison natale.

En 1465, il fut anobli par l’archevêque de Mayence, Adolphe II de Nassau.

J’ai déjà fait valoir que même si les Goldberg actuels étaient tous juifs (ce qui resterait à prouver), Johann Gottlieb Goldberg, qui vécut il y a trois siècles, ne l’était pas. De même, on admettra que, quand bien même tous les Gutenberg actuels seraient juifs, rien n’indique que Johannes Gensfleisch alias Gutenberg aurait pu l’être.


Sources : iletaitunehistoire.com, Wikipedia.

vendredi 20 juillet 2018

Alexandre Benalla vu par les « conspis »

Andy Warhol avait annoncé que désormais, chacun pourrait avoir son quart d’heure de célébrité. Au moment où ces lignes sont écrites, c’est le cas d’un certain Alexandre Benalla, à la fois barbouze, garde du corps et intime du président Macron, et ci-devant adjoint à son chef de cabinet, brusquement sorti de l’ombre pour avoir cogné quelqu’un une fois de trop.

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, certains policiers un peu trop portés sur la castagne aimaient à tabasser un manifestant, ou mieux encore, un jeune homme supposé l’être, surtout s’il s’agissait d’un « Arabe » (c’est-à-dire un immigré maghrébin ou un fils d’immigrés maghrébins).

Les choses ont bien changé depuis, pour le meilleur comme pour le pire. Nous avons ici, en quelque sorte, le schéma inverse : un employé du gouvernement, mais un faux policier, d’origine maghrébine, qui s’en prend à un vrai manifestant, en l’occurrence un individu de type européen. Peut-être pour d’excellentes raisons, mais ce n’est pas notre propos.

Benalla portant un brassard de la police

Sur Facebook, un individu d’extrême droite ayant souligné qu’on avait affaire une fois de plus à « un Abdoul » (sic), un autre objecta qu’avec comme prénom Alexandre, ce devait être plus probablement un membre de la LDJ (Ligue de défense juive). Un autre enchérit en désignant Benalla comme « un rabbi Jacob » (sic).

Or, nombreux sont les enfants d’immigrés maghrébins qui portent un prénom du calendrier chrétien. Ce peut être parce qu’ils sont issus d’une famille kabyle chrétienne. Ce peut être aussi parce que leurs parents, bien qu’issus de famille musulmane, n’étaient pas très croyants ou pas très pratiquants, voire athées ou agnostiques, et ont misé sur l’intégration. Ou encore, il peut s’agir de la forme usuelle occidentalisée d’un prénom musulman, par exemple Alexandre pour Ali, de la même manière qu’un Mojżesz venu de Pologne se fera couramment appeler Maurice.

Physiquement, Alexandre Benalla a un type berbère, pas un type juif. Sa coiffure et sa façon de porter la barbe ne suggèrent pas non plus qu’il serait juif. Son sweat à capuche non plus, et son parcours, pas davantage. En outre, on sait qu’il est originaire du quartier de La Madeleine à Évreux, une de ces zones urbaines dites « sensibles », une ZUP, où la violence est endémique.

De plus, s’il est né quarante-quatre Benalla en France entre 1966 et 1990 (filae.com), il n’en est né aucun avant la fin des années soixante, et même, le premier y est vraisemblablement né non pas en 1966, borne inférieure de la période retenue par les statisticiens, mais plutôt dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. Cela indique que le nom Benalla n’est pas porté par des Juifs, et même sans disposer de renseignements plus complets sur l’intéressé, il est évident qu’il est issu de l’immigration maghrébine massive qui peuple les quartiers « difficiles ».

En outre, on pourra noter que selon certains organes de presse, Alexandre Benalla aurait dû se marier le 21 juillet 2018, un samedi. Or, pour des raisons évidentes, les Juifs ne se marient pas le samedi : ni civilement, ni religieusement.

Enfin, il convient de remarquer que les antisémites conspirationnistes qui voient en Alexandre Benalla un Juif (tandis que d’autres « conspis » pas moins antisémites font courir le bruit que son vrai prénom serait Lahcen et que même son nom serait différent) sont les mêmes qui, récemment, approuvaient la condamnation à mort de Serge Atlaoui en lui prêtant, de la même manière, une identité juive, sous prétexte qu’il se prénommait Serge plutôt que Mohammed ou Abdullah.

vendredi 13 juillet 2018

Gottlieb Duttweiler, ni juif ni nazi

Un estimable lecteur m’a adressé le message suivant :

Suite à une discussion entre amis, il est apparu que [m]onsieur Gottlieb Duttweiler, fondateur de la Migros suisse et homme politique suisse de premier plan, passe à tort pour être de confession juive. La confusion proviendrait du fait que les succursales berlinoises des magasins Migros aient été violemment boycottées par les Sturmabteilungen (S.A.), au même titre que les commerces dits « juifs ». La Migros était toutefois attaquée par les nazis en sa qualité de grande entreprise étrangère, et non en raison d’une quelconque identité juive de son fondateur [...].

Ce n’est pas seulement en Allemagne que des boycotts avaient été organisés contre l’enseigne Migros, mais aussi en Suisse. Le nazisme y était pour quelque chose, mais l’hostilité de ses concurrents également.

Que croit-on que le doute vaille ?

Certains détracteurs de Migros avaient prétendu y voir « une société juive », ce qui laisse penser qu’ils tenaient pour juif son fondateur.

Sans doute celui-ci s’était-il fait d’autres ennemis encore en décidant, pour mieux contre-attaquer, de se lancer dans la politique. Il avait même fait l’objet d’une haine pathologique. Il lui était arrivé d’être désigné dans un journal suisse comme « l’ennemi public n°1 ».

Or, si certains de ses ennemis le disaient juif, d’autres en faisaient un nazi : dans la presse, on avait pu lire un jour « Heil Duttler ! », tandis que quelqu’un avait désigné Duttweiler comme « Le petit Göring de Rüschlikon » (Rüschlikon étant la ville où il s’était fait construire une villa, près de Zurich).

De façon aussi grotesque, Gottlieb Duttweiler avait été accusé par certains d’être « à la solde de Brown-Boveri » (une grande compagnie suisse d’électrotechnique).

Mais Duttweiler était finalement devenu très populaire auprès d’un large pan de la population suisse. Plus d’un demi-siècle après sa mort, « Dutti » reste une des plus grandes figures de tout le paysage helvétique du XXe siècle.

Il fut un grand innovateur dans le domaine de la grande distribution, un peu comme les fondateurs des grands magasins à Paris, dont la rumeur dit qu’ils étaient tous juifs (en réalité, la plupart ne l’étaient pas). Pour son audace et ses méthodes révolutionnaires, il pourrait aussi être comparé à d'autres visionnaires qui étaient juifs, comme Emil Jellinek ou Marcel Bleustein-Blanchet.

De quoi le petit Duttweiler avait l’air ?

Et comment ne pas mentionner l’éthique remarquable de Duttweiler, qui avait interdit la vente d’alcool et de tabac dans les points de vente Migros et s’était efforcé de promouvoir l’écologie, le recyclage et le commerce équitable dès la fin des années trente !

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que porter un nom à consonance germanique est tout ce qu’il y a de plus banal en Suisse alémanique, et même dans le reste du pays, et que cela ne permet nullement de préjuger de la religion de l’intéressé ?

Il me semble que jamais, sauf peut-être le jour de la fête de Pourim (et encore...), des Juifs n’auraient habillé leur petit garçon comme sur la photo ci-contre.

Surtout, outre que Gottlieb Duttweiler portait le même prénom que son père et que rien n’indique que son père ni sa mère auraient pu être juifs, ses obsèques, à Zurich en 1962, ont eu lieu à l’église... et même, plus fort encore, elles ont été organisées simultanément dans quatre églises différentes.


Sources : Dictionnaire historique de la Suisse, Testatelier, Migros Magazine (du 4 juin 2012), Migros Magazine (du 11 mars 2013), WOZ.

jeudi 28 juin 2018

L’antisémite Corbyn et son « élément juif »

Le 20 février 2018, dans une discussion sur Facebook à propos d’un Juif exclu du parti travailliste britannique en raison de son antisémitisme, un participant avait prêté par la même occasion une identité juive au très pro-palestinien chef du parti travailliste au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn.

Il est vrai que des antisémites conspirationnistes voient également en Corbyn un Juif. On peut remarquer que « Jew » et « Jewish » font partie des mots associés à son nom dans le champ de recherche de Google.

Jeremy Corbyn dans son élément

Serait-ce à cause de son prénom ?

Connu pour son militantisme pro-palestinien effréné, Corbyn a soutenu une campagne visant à faire annuler la condamnation de deux terroristes reconnus coupables d’un attentat à la bombe contre l’ambassade d’Israël à Londres en 1994.

Or, ces condamnations ont été confirmées par la Haute Cour de justice en 2001 puis par la Cour européenne des droits de l’homme en 2007 (Daily Telegraph et Jewish Chronicle, septembre 2015).

On ne s’étonnera donc pas qu’il ait été plusieurs fois accusé d’antisémitisme.

Le site The Jewish Chronicle rapporte des extraits d’une interview au Church Times, dans laquelle Corbyn racontait que sa mère, Naomi Loveday, était agnostique mais lisait la Bible. Elle avait grandi « dans un milieu religieux », son frère était pasteur, et il y avait « beaucoup d’ecclésiastiques dans sa famille ».

Son père, David Benjamin Corbyn, était chrétien et allait à l’église. David, Benjamin, Naomi et Jeremy sont certes des prénoms hébraïques, mais comme je l’ai déjà rappelé, notamment à propos d’Isaac Newton, les prénoms tirés de la Bible juive sont monnaie courante chez les protestants anglo-saxons. David Benjamin Corbyn n’était pas plus juif que David Duke ou Benjamin Franklin, Naomi Loveday n’était pas plus juive que Naomi Campbell, et Jeremy Corbyn n’est pas plus juif que ne l’était Jeremy Bentham.

Dans l’interview en question, Corbyn ajoutait : « Si [l’]on remonte beaucoup plus loin, il y a un élément juif dans la famille, probablement d’Allemagne. »

Si l’on remonte très loin, beaucoup de chrétiens (et de musulmans) ont un « élément juif » dans leur généalogie. Et après ? Qu’est-ce que cela change ?

Les antisémites ont toujours des amis juifs, c’est bien connu. Mais de plus en plus souvent, comme la mode n’est plus aux revendications racialistes, bien au contraire, ils affirment aussi avoir des Juifs parmi leurs ascendants.


Sources : Jewish Chronicle, Wikipedia.

vendredi 22 juin 2018

Juif, Roger Auque ? Oh, que non !

« Je suis une sorte de bobo, anarchiste de droite. [...] favorable aux 35 heures, parce que dans ma jeunesse j’ai bossé en usine sur une fraiseuse. Pour [...] la défense de la République et des valeurs chrétiennes. » — Roger Auque (lemonde.fr, 4 mars 2008)

Dans ses mémoires posthumes commencés quelques mois avant sa mort, Au service secret de la République (Fayard, 2015), Roger Auque déclare : « J’ai été rémunéré par les services secrets israéliens pour effectuer des opérations en Syrie, sous couvert de reportage. » Je ne crois pas devoir chercher ailleurs la raison pour laquelle un bruit court que ce journaliste était juif. Comme si les services secrets ne rémunéraient jamais des étrangers...

Plus d’un État de service...

Or, il avait également offert ses services à la DGSE, la centrale française d’espionnage et de contre-espionnage.

Fils d’un assureur de Roubaix qui était gaulliste de gauche et ancien d’Indochine, Roger Auque avait choisi, dans le cadre de ses études, d’apprendre l’arabe.

Dans les années quatre-vingt, il était correspondant de guerre au Liban : « Je me suis retrouvé à combattre du côté chrétien, avec une myriade de jeunes de mon âge, dit-il, des Libanais mais aussi des Américains et des Français un peu fascisants qui combattaient les musulmans progressistes. » On imagine mal un Juif dans ce milieu.

En 1987, enlevé par le Hezbollah, il avait été retenu en otage pendant près d’un an. Son sort aurait sans doute été pire s’il avait été juif, mais heureusement pour lui, il n’était pas plus juif que ses collègues Jean-Louis Normandin et Jean-Paul Kauffmann.

De 2003 à 2007, Roger Auque avait été correspondant permanent à Bagdad, puis à Beyrouth, après quoi il était devenu rédacteur en chef sur la chaîne de télévision franco-marocaine Medi 1 Sat, à Tanger. Là encore, on imagine mal un Juif dans ce milieu.

En décembre 2009, il était nommé ambassadeur de France en Érythrée. Là encore...

En 2013, le magazine L’Express révélait que Roger Auque était le père biologique de Marion Maréchal-Le Pen, ce que celui-ci a lui-même confirmé dans ses mémoires posthumes. Imagine-t-on un Juif avoir une relation intime avec une des filles de Jean-Marie Le Pen ?

Laissons à l’intéressé le mot de la fin : « Je n’étais pas baptisé et ma famille était plutôt anticléricale. Mais je suis devenu croyant et profondément chrétien. »


Sources : Roger Auque et J.-M. Verne, Au service secret de la République (Fayard, 2015), lefigaro.fr, lemonde.fr, linternaute.com, Wikipedia.

mardi 19 juin 2018

Pourquoi Jacques Calvet serait-il juif ?

C’est au siège même du groupe PSA (Peugeot-Citroën), avenue de la Grande Armée, à Paris, qu’un collègue de travail, salarié de la maison mère, m’avait affirmé que le PDG, Jacques Calvet, était juif. C’était vers la fin des années quatre-vingt. Jacques Calvet avait certes un type assez méridional, pour ne pas dire « sémite », mais comme le collègue en question semblait très peu au fait de ce que signifie être juif et cultivait notamment la croyance que « les Juifs se cooptent entre eux », j’avais de bonnes raisons de rester sceptique.

La France des Calvet
nés entre 1891 et 1915

Dans un article consacré à Jacques Calvet en juillet 1997, le magazine L’Express en ligne, qui mettait en avant « son côté grand commis de l’État », « son souci de l’intérêt national » et son « ambition de servir », soulignait le nombre important de fonctionnaires dans l’histoire de sa famille : « Casimir, le grand-père, était proviseur du lycée Michelet, à Vanves. Orphelin d’un capitaine d’infanterie de marine mort de la fièvre jaune à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), il avait été élevé par un député radical du Nord. »

Les parents de Jacques Calvet s’appelaient Louis Calvet et Yvonne Olmières. Une recherche étymologique permet de savoir que le nom Calvet est le diminutif du mot latin calvus (chauve), qu’il est « notamment porté dans le Tarn et les Pyrénées-Orientales » et qu’il a été « utilisé au Moyen-Âge comme nom de baptême : le cartulaire de l’abbaye Saint-Sernin de Toulouse comporte une quinzaine de personnes prénommées Calvetus ».

Calvet était aussi le nom d’un moine bénédictin, Dom Gérard Calvet, et d’un évêque, Michel-Marie Calvet. On peut lire également que ce même diminutif « se rencontre en Italie sous les formes Calvetto, Calvetti (Piémont, Lombardie) », et que « Calvet et sa variante Chauvet peuvent aussi être des toponymes, avec le sens de sommet dénudé. »

Olmières est également un nom de la région du Tarn, avec des variantes comme Olmière, Ormières, Ourmières, Hourmières, etc.

Par conséquent, même si l’on sait peu de choses sur l’histoire familiale de Jacques Calvet, on peut au moins affirmer que ni le nom de son père ni le nom de sa mère ne suggèrent une ascendance juive.


Sources : L’Express, filae.com, geneanet.org, 123genealogie.com, geneanet.org (généalogie).