[Durant la Seconde Guerre mondiale], [a]ccusés – à tort – d’espionnage au profit de l’Allemagne d’un côté de l’Atlantique, soupçonnés – à tort également – d’avoir du sang juif de l’autre côté, les Steinway survivent en participant à l’effort de guerre, un pied dans chaque camp. — Nicolas Barré, Les Échos, 24 août 2001, mis à jour le 6 août 2019
La rumeur attribuant une identité juive à Henry E. Steinway, né Heinrich Engelhard Steinweg, le fondateur de la fameuse marque de pianos, date donc de la Seconde Guerre mondiale, tout au moins. La fausse information m’avait sans doute été transmise par quelqu’un de mon entourage proche.
Heinrich E. Steinweg |
Ou bien, à la présence du vocable « stein » dans son nom ? Comme dans le nom de John Steinbeck (pas juif) ? Ou comme dans le nom du personnage de fiction Victor Frankenstein (pas juif non plus) ? Pour nous en tenir à la facture de pianos, Eduard Steingraeber, autre fondateur d’une marque allemande, n’avait aucune origine juive connue. Quant à Carl Bechstein, fondateur d’une autre marque allemande plus prestigieuse encore, qu’il me suffise de rappeler qu’il fut le premier sponsor du NSDAP, le parti nazi.
Les ancêtres de Heinrich Engelhard Steinweg vivaient depuis de nombreuses générations dans le duché de Brunswick. C’est là un premier indice de non-judéité.
Né en 1797 dans le village de Wolfshagen Im Harz et orphelin à quinze ans, Heinrich Steinweg dut braver les règlements de la guilde locale pour devenir ébéniste à Goslar. Un peu plus tard, l’Église locale lui permit de devenir facteur d’orgues dans la ville voisine de Seesen.
En 1851, pour des raisons de carrière, H. E. Steinweg émigra à New York, où il américanisa son nom et fonda, avec ses fils, la fameuse marque de pianos Steinway & Sons (les Steinweg co-fondèrent aussi la marque allemande Grotrian-Steinweg).
À cette époque, l’immigration allemande aux États-Unis, suscitée par de mauvaises conditions économiques, n’avait rien à voir avec l’émigration juive allemande qui prendra son essor au siècle suivant pour des raisons évidentes. Au XIXe siècle, au contraire, les Juifs d’Allemagne adoraient ce pays et ne rêvaient que de s’y intégrer toujours plus profondément, quitte à consentir pour cela de grands sacrifices.
Sources : Immigrant Entrepreneurship ; Les Échos ; Richard K. Lieberman, Steinway & Sons, Yale University Press, 1995 ; Dorothee Schneider, Trade unions and community – The German working class in New York City, 1870-1900. University of Illinois Press, 1994.